Exposition Médecine Traditionnelle


  • Approches ethnographiques : sur le terrain d’enquête


    "La subjectivité inhérente à toute observation doit être considérée comme la voie royale vers une objectivité authentique".

    Georges Devereux (1)


    Le travail de recherche exposé est issu d'une réflexion sur les enquêtes de terrain menées au sein de la société d'études et de recherches des survivances traditionnelles (SEREST) de 1984 à ce jour. Il est le fruit de plusieurs années de recherches principalement axées sur l'étude des mentalités traditionnelles en milieu rural, recherches qui se poursuivent actuellement. Il se fonde sur l'observation effectuée sur le "terrain", en l'occurrence en milieu rural, auprès des "Anciens" et au cours d'enquêtes extrêmement instructives au niveau des procédures mises en œuvre. Ce sont ces dernières que nous avons cherchées à déterminer et à présenter au travers d'un double langage : celui de la Tradition et celui, peut-être plus accessible pour le lecteur, d'une certaine approche culturelle contemporaine, pour autant qu'il soit possible de le faire sans les dénaturer.


    Le problème de l'ethnologue est qu'il se doit de rendre compte de la manière la plus fidèle possible, la plus neutre possible, de la pensée des "autres". En matière de thérapeutique, il se doit de montrer non "comment ça marche" mais " comment les autres pensent que ça marche", et analyser ce qu'implique leur vision des choses.



    Si comme le disent les tradipraticiens, praticiens de la tradition, "il existe des croyances aidantes et des croyances limitantes", il n'en n'est pas moins vrai qu'il s'agit avant tout de croyances. A la fois travail de démystification et de re-mythification, cette recherche s'inscrit dans une démarche pragmatique et novatrice, en ce sens où elle explore des voies peu connues et en tout cas rarement abordées par nos contemporains sous cet angle.




    Parlons d'abord du travail de terrain. Les obstacles rencontrés au cours des enquêtes sont nombreux. En voici quelques uns, auxquels nous avons été confrontés :


    - défiance du milieu paysan envers les enquêteurs, assimilés, à tort ou à raison, à des personnes imbues d'un savoir acquis sur les bancs des universités. Souvent, nous avons entendu les "anciens" nous parler du mépris manifesté par "le Monde Savant" lorsqu'ils lui confiaient les procédés employés avec succès par leurs pères et eux-mêmes.

    - divergence des centres d'intérêts entre les enquêteurs et enquêtés, ces derniers s'étonnant des questions posées qui leur semblent hors sujet, lorsqu'elles ne concernent pas le côté strictement "fonctionnel".

    - difficulté de cerner avec précision les sources du savoir et des croyances des personnes interrogées, qui peuvent se référer aux origines les plus diverses.


    Cela tend à montrer que si certaines pratiques semblent avoir été en usage depuis des générations, dans les familles interrogées, cela n'implique pas qu'elles soient systématiquement répandues dans le secteur géographique auquel les familles appartiennent. La question : "y a-t-il ou non une médecine et des croyances spécifiques se rattachant à une région donnée ?" semble inappropriée. Il convient par contre de s'interroger sur la pérennité et l'extension à un ensemble de populations de structures de pensées communes.




    Dans tous les cas, l'approche ne peut se faire à partir d'un questionnaire préétabli. La nature même de la mentalité traditionnelle, maintenant devenue si étrangère à celle de nos contemporains, fait que seul, à notre avis, et selon notre expérience, reste possible un échange d'informations sur un pied d'égalité de pensée : il faut savoir se mettre à l'école, sans mépris ni intolérance, écouter et épouser dans sa chair et son âme, la mentalité de ceux qui véhiculent encore la connaissance traditionnelle au moins le temps de l'enquête, ce qui présuppose de travailler selon un mode participatif.


    Tous ceux qui ont travaillé sur le sujet de l'ethnologie en milieu rural savent les difficultés qui se présentent si l'enquêteur ne veut pas se borner à enregistrer des généralités déjà connues, des propos vagues, ne mettant en cause ni l'enquêté ni la population qu'il représente. Nous avons pensé qu'il était possible et souhaitable de faire précéder le travail sur le terrain par la présentation d'expositions traitant d'un aspect d'ensemble ayant pour thème : médecine traditionnelle, superstition, croyances, même si cela est traité de manière incomplète, reprenant les informations obtenues au cours des précédentes enquêtes et également celles se référant à des zones géographiques étendues : Auvergne, Velay, Ardèche, Bourbonnais, voire territoire national. Cela a pour but de sensibiliser une population donnée, et de permettre qu'une approche intime puisse se faire ultérieurement sans difficulté majeure, au niveau d'enquêtes approfondies. Compte tenu des résultats qui se sont révélés au-delà de nos espérances, nous poursuivons toujours actuellement le travail de terrain selon cette méthodologie d'approche.


    Telle est notre démarche. Nous sommes conscients de ses limites et imperfections. Mais il ne s'agit pas tant pour nous de collecter informations ou objets "rares", que de participer à la transmission et la continuation d'un héritage capital qui fait partie intégrante du patrimoine humain. La prise en compte des trésors humains vivants que sont ces porteurs de connaissance, la somme de connaissance léguée par ces Anciens représentent un patrimoine considérable pour les générations à venir, car nous savons qu'un monde qui a perdu ses racines n'a guère d'espoir de survie.



    (1) De l'angoisse à la méthode dans les sciences du comportement. Paris, Flammarion, 1990


    Retour page

  • 8