Exposition Médecine Traditionnelle


  • Thérapeutiques traditionnelles

    CAUSE DES MALADIES DANS LA MENTALITE TRADITIONNELLE


    Dans la tradition judéo-chrétienne ancienne, la maladie a une origine spirituelle : l'homme est pêcheur ; pour le punir ou lui permettre de dépasser son propre état, Dieu permet que l'homme soit éprouvé dans sa triple constitution : corps, âme, esprit. "S'il n'y avait pas de péché, il n'y aurait pas de maladie. Le péché, il naît dans les pensées. Si vous introduisez le mal dans votre pensées, vous l'introduisez dans votre corps" (1). La maladie est considérée ainsi que la souffrance, comme "une expérience apportant un bénéfice moral important pour la compréhension plus grande du sens humain" (2). L'homme peut être éprouvé par des démons, des esprits, des êtres humains ou des éléments naturels qui leur sont soumis, ce qui donne naissance en matière de médecine, à un double courant : magico-religieux d'une part et magico-scientiste d'autre part. Si l'homme transgresse la loi, l'interdit, le démon agit sur son esprit, d'où l'apparition d'une maladie spirituelle. L'âme est ensuite atteinte, ce qui entraîne une souffrance morale et souvent également une souffrance physique. L'intrusion d'un esprit dans le corps d'un individu peut se faire par contact, par ingestion, par le lancer d'un projectile matériel ou psychique. Une autre cause de maladie peut résulter de la perte d'âme : l'âme, tout ou partie de celle-ci, peut être enlevée à l'individu lors d'une rencontre avec une puissance spirituelle (ange, démon, esprit) engendrant une grande frayeur, ou encore pendant le sommeil. De même un mort non libéré de sa substance psychique peut, pour assurer sa survie, s'emparer de l'âme d'un vivant. Un maléficiant appartenant au monde des humains peut également enlever l'âme ou introduire en elle un élément "dévorant" qui s'en nourrira progressivement : il en résulte tristesse, apathie, langueur, dépérissement, parfois suivis de la mort de l'individu concerné.


    Il existe dès lors deux traitements possibles, pouvant être utilisés conjointement :


    L’EXORCISME ET LA PRIERE


    On renvoie l'esprit mauvais d'où il est issu, puis on invoque les puissances spirituelles pour la guérison. C'est l'apanage du prêtre ou du sorcier.


    LE TRANSFERT


    Le mal étant quasiment considéré comme une entité en soi, il devient dès lors possible de le déplacer comme on pourrait le faire pour un simple objet : pour guérir une personne par transfert, le tradipraticien peut agir de deux manières, selon son degré de compétence.


    - le mal dans son contenant est transféré, ce qui implique un travail au niveau de l'identité.


    - les qualités de l'individu ou de la maladie sont transférées, ce qui implique un travail au niveau du comportement et des capacités.


    Le procédé consiste à déplacer le mal en le transférant sur un support végétal, animal ou minéral. Cette action est souvent accompagnée de la récitation par le détenteur du don d'une prière particulière de conjuration, en présence ou non du malade. On remarque que certaines constantes peuvent se dégager de ces procédés :


    - présence d'un support végétal, animal ou minéral sur lequel on transfère le mal.

    - le support est détruit par la terre, l'eau ou le feu, ou un autre animal, à moins qu'il ne serve de véhicule pour transférer le mal sur une tierce personne.

    - le support est déposé ou jeté, sans se retourner, sans regarder, sans entendre ou sans parler.

    - il y a parfois mention d'une invocation ou d'une conjuration, disparue dans certains cas, à moins qu'il ne s'agisse de l'amalgame de deux procédés, à l'origine distincts, destinés à renforcer le pouvoir de l'action.


    Le transfert par lui-même est lié à l'espace : déplacement du mal d'un objet à un autre, d'un lieu à un autre, alors que les conjurations sont liées au temps. La maladie est guérie par référence à une histoire mythique, relevant d'un temps mythique, sur laquelle on la greffe.


    Rappelons que le transfert a pour but de faire prendre en charge le poids moral par un tiers, animé ou inanimé. On peut se servir pour cela d'un végétal, d'un animal, d'un minéral, par l'intermédiaire d'un saint ou d'un guérisseur. Dans ce dernier cas, on cherche dans la nature le remède aux conséquences du mal : Dieu a donné un sens spirituel qui, bien qu'amenuisé par la chute, reste toujours efficace : de cela découle la théorie de la signature


    THEORIE DE LA SIGNATURE


    Tous les éléments naturels sont en interpolation les uns avec les autres. Pour qui sait lire, reconnaître les signes, la nature est prodigue en dons généreux. A qui sait les cultiver, elle donne avec tendresse. Elle est un jardin dont les fruits portent marques et signes, indiquant la forme du médicament ou la maladie qu'ils sont aptes à soigner. Ces marques, ces signes sont les autographes de Dieu, selon la pensée traditionnelle.


    Le semblable guérit le semblable. L'identité des formes implique l'identité des propriétés. La tradition enseigne que les cycles de la nature, les couleurs, les saveurs, les formes, obéissent à une logique relevant de principes créateurs. Il existe ainsi une vision symbolique du monde "qui peut conduire à des savoirs que notre raison, figée dans sa propre logique, répugne à admettre" (3).


    Ainsi, l'homme a depuis toujours remarqué que certaines plantes, pierres ou animaux possédant une vertu spécifique, présentaient parfois un signe, une marque particulière qui pouvait rappeler la forme d'un organe, une partie du corps ou encore l'apparence d'une maladie. D'où la médecine analogique : on considère que la nature montre "de par la volonté divine", l'image, la signature de ses pouvoirs. Sont pris en compte la forme, la couleur, l'odeur, le goût, en corrélation avec quatre de nos sens : la vue, le toucher, l'odorat, le goût (4).


    La signature dans le règne végétal a été suffisamment décrite par les auteurs anciens et modernes pour que nous ne la détaillions plus avant. De nombreux exemples sont décrits dans l’exposition.


    En ce qui concerne le règne animal, plus mal connu, quelques remarques s’imposent.


    Chaque animal assume une ou plusieurs fonctions spécifiques au sein de l'ordre naturel liées à l'équilibre du système écologique auquel il appartient. En ce sens, il n'existe aucun "nuisible", chaque individu de ce règne ayant un rôle particulier à remplir, ce qui rend son existence en quelque sorte indispensable.


    Dans la pensée traditionnelle, chaque animal exprime une double fonction symbolique, en rapport avec son aspect ou son comportement, ce qui relève d'une pensée antinomique et non d'une pensée dialectique : ainsi, il représente à la fois les forces lumineuses et ténébreuses, constructives et destructrices, qui lui sont propres, l'une étant complémentaire et indissociable de l'autre comme le jour l'est de la nuit. Certains animaux, dans la pensée magico-religieuse, incarnent symboliquement les dieux sur la terre, du fait d'une analogie de caractère et de tempérament avec ces dieux, qui sont eux-mêmes manifestation et expression immanente d'une unique divinité qui, elle, reste strictement transcendante. Il s'agit en fait d'une représentation archétypique, dont certaines écoles philosophiques et psychanalytiques ont su montrer l'importance primordiale.


    La théologie chrétienne des premiers siècles, considérant la valeur de chaque élément de la création, ne distinguait pas d'animaux bénéfiques ou maléfiques. Par la suite, cependant, par un renversement des archétypes, les dieux de l'ancienne époque sont tout naturellement considérés comme des démons dans la nouvelle : les animaux, attributs des dieux de l'antiquité, deviennent dans la pensée populaire, des animaux liés au démon : corbeau, chouette, loup, bouc, chat... Cette distinction entre animaux bénéfiques et animaux maléfiques prendra particulièrement forme dans les mentalités avec l'introduction de la pensée scolastique, à partir des XIIe et XIIIe siècles. L'idée d'une création dualiste prend forme : si la divinité est essentiellement bonne, Dieu n'a créé que les espèces bénéfiques pour l'homme, et le diable, ayant voulu le singer, a introduit les espèces dites maléfiques.


    Mode d'action :
    On considère qu'il existe une relation directe entre les organes animaux et les organes humains qu'ils sont censés soigner. On mange le foie, la cervelle, le cœur, les reins "pour fortifier ses propres organes". Parfois, le choix s'effectue en fonction de la valeur symbolique de l'animal, mais plus encore selon la théorie des signatures qui s'applique en fonction des formes, de la couleur ou de l'espèce particulière. Nulle substance n'est laissée de côté pour la préparation des remèdes, pas même le sang, l'urine ou les excréments, qui figurent en bonne place dans la pharmacopée populaire. Parfois encore une partie seulement de l'animal est ingérée, sous forme de décoction, d'infusion, de teinture, de poudre... Certains animaux "tirent le mal" par mise en contact direct avec l'organe ou la partie malade, par exemple :

    - les sangsues en cas de coup de froid, de coup de sang,

    - les pigeons ou autres volatiles en cas de pleurésie,

    - les crapauds en cas de cancer du sein.

    L'homme lui-même peut aspirer le mal par succion avec la bouche ou avec une paille, à moins qu'il ne l'extraie avec les mains, ce que pratiquent encore certains guérisseurs traditionnels de manière très spectaculaire (5).


    Peu nombreux sont ceux qui connaissent encore ces préparations, à défaut même de les employer: l'homéopathie contemporaine en a cependant repris quelques unes à son compte, et certains médecins prescrivent encore le célèbre sirop de bave d'escargot en cas de bronchite chronique (commercialisé sous un nom latin francisé, pour ne pas effrayer la clientèle). Quelques chercheurs (souvent contestés) ont remis en vigueur le vieux traitement à base d'extrait de glandes animales, supposé ralentir le vieillissement et la sénilité.


    La signature dans le règne minéral


    L'usage des grandes et petites pierres guérisseuses est strictement basé sur des lois d'analogie de formes et de couleurs. L'analogie de forme est une constante tout à fait remarquable. Pour ce qui est de l'analogie des couleurs, disons simplement que les pierres vertes serviront dans le cas de maladies de peau (couleur du pus, des chairs décomposées), que les rouges guériront les hémorragies (couleur du sang), et que les blanches seront utilisées par les nourrices pour augmenter leur production lactique ou au contraire pour stopper les montées de lait. Il existe en outre certaines analogies que je pourrais qualifier de "comportementales" : un exemple nous est fourni par l'usage de métaux. Le fer, métal dur, sera prescrit sous formes diverses à ceux qui sont faibles, qui souffrent d'anémie.


    Alors... ça fonctionne ?


    La théorie de la signature est très contestée parmi les chercheurs contemporains dans les milieux médicaux. Il est surprenant de constater que dans bon nombre de cas, au moins dans le domaine végétal, l'analyse scientifique a montré que ces analogies correspondaient à des propriétés thérapeutiques dûment vérifiées (6). La théorie de la signature est-elle fondée sur un fait réel, quoique apparemment inexplicable, ou sert-elle simplement d'aide mémoire ? Un système de classification à plusieurs degrés n'est pas incompatible avec le fait que la médecine traditionnelle est essentiellement basée sur un enseignement oral, et qu'un guérisseur traditionnel en milieu rural pouvait avoir une connaissance approfondie de l'emploi de plusieurs centaines d'éléments, d'où la nécessité d'une technique de mémorisation appropriée. Ceci dit, il conviendrait de reprendre chaque espèce une par une, et il serait possible de constater que leur emploi va de pair avec un mythe d'origine qui leur est propre. Ce terme de "mémoire" serait alors à entendre dans le sens d'une anamnèse, telle que la conçoit la théologie judéo-chrétienne, actualisation "ici et maintenant" de la Présence évoquée dans le mythe d'origine. Et c'est bien sur cela que les tradipraticiens ont fondé les usages qui nous intéressent dans la présente étude.



    (1) Marcelline, enquête SEREST 1-27/11/1988

    (2) G. Paysan, Médecine et pharmacopée populaire d'hier en Vivarais.

    (3) P. Lieutaghi, Les simples entre Nature et Société, p. 46.

    (4) L'ouïe n'est cependant pas absente, car certaines plantes, telle la bryone ou fausse mandragore passent pour crier.

    (5) Des "matérialisations" du mal peuvent se "produire". En ce cas, le guérisseur fait généralement référence à des entités ou au spiritisme pour justifier et expliquer ce procédé. Nous sommes donc là devant un cas limite au niveau traditionnel. Cependant, rien ne prouve que l'explication et la référence ne soient pas plus récentes que l'usage lui-même. Ce type de matérialisations relève d’une manipulation, ayant pour objet de capter l’attention consciente et de la focaliser pendant que le véritable travail s’effectue par positionnement de l’intention dans la partie inconsciente concernée.

    (6) À ce propos, nous renvoyons le lecteur aux travaux et ouvrages de Jean-Marie Pelt, professeur de biologie végétale et pharmacognosie à l'université de Metz.

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