Exposition Médecine Traditionnelle


  • Mythe judéo-chrétien et thérapeutique traditionnelle

    LES ORIGINES MYTHIQUES


    A l'origine des temps, Adam, l'homme, participe aux énergies divines : il n'est pas lié par les contingences extérieures du temps et de l'espace, il ne connaît ni la maladie ni la mort. Dans le paradis, Adam reçoit la connaissance (1) : "Tu mangeras le fruit de tous les arbres, sauf celui de la Connaissance du Bien et du Mal, car le jour où tu en mangeras, tu mourras" (2).


    Adam nomme. Il nomme les éléments de la création (animaux, végétaux, minéraux). Cela signifie qu'il connaît leurs fonctions ainsi que leurs vertus.


    La CHUTE introduit la dualité (la connaissance du Bien et du Mal) et l'homme découvre la mort. L'ange referme l'entrée du Jardin d'Eden : l'inférieur ne peut y revenir, mais le Supérieur peut en sortir pour instruire les hommes et diriger leurs travaux. C'est là l'origine de la tradition.


    De ce point de vue, la tradition est la transmission de la connaissance, d'origine non humaine, reçue dans l'état édénique, puis transmise au travers de la dégénérescence que connaît l'humanité dans l'histoire.



    Seth, fils d'Adam, retourne à l'entrée du Paradis et sollicite un rameau de l'arbre de vie. La première médecine serait donc une médecine végétale d'essence paradisiaque.


    Avec Abel et Caïn, les deux premiers enfants du groupe Homme / Femme primordial, on voit se dessiner la rivalité entre nomades et sédentaires, qui formeront deux cultures opposées : l'offrande de Caïn, végétale, est refusée par Dieu alors que celle de son frère Abel, animale, est agréée. Caïn fonde la première ville. Les sédentaires sont des constructeurs et des agriculteurs. Ils délimitent l'espace et le cristallisent. On assiste à un resserrement spatial. Leurs œuvres sont durables dans le temps. Ils fixent dans l'espace un domaine limité, borné, et cherchent à assurer à leurs activités un prolongement quasi indéfini dans le temps : limitation de l'espace, illimitation du temps. Les nomades, pasteurs, éleveurs et chasseurs, n'édifient en général rien de durable et ne travaillent pas en vue d'un avenir qui leur échappe. Par contre, ils ont devant eux un espace ouvert, non clos, qui ne leur oppose aucune limitation, mais au contraire ouvre constamment de nouvelles possibilités.


    - L'activité des sédentaires s'exerce principalement sur le domaine végétal et minéral, représentant les éléments solides et stables. La métallurgie apparaît avec le personnage de Tubalcaïn. Au niveau des arts plastiques, ils privilégient l'art des formes qui se déploient dans l'espace : architecture, sculpture, peinture. Sur le plan magico-religieux, les sédentaires élaborent des symboles visuels, images faites de diverses substances.

    - L'activité des nomades s'exerce sur le règne animal, mobile comme eux, et sur le domaine sonore. Ils développent les arts phonétiques, art des formes se déroulant dans le temps. La représentation visuelle de l'image leur est généralement interdite, car elle tendrait à les attacher à un lieu déterminé. Dans ce cas, seuls sont autorisés les symboles sonores, compatibles avec l'état de migration perpétuelle. Ainsi voit-on dans la tradition abélienne naître la réprobation attachée à certains arts et métiers qui ne conviennent proprement qu'aux sédentaires.


    La médecine traditionnelle s'exercera à partir de ces quatre éléments : végétal, animal, minéral et sonore.


    La distinction mythique entre les nomades et sédentaires, au regard de la tradition, marque l'opposition entre les individus appartenant à ces deux groupes et qui peut engendrer des crises sociales revêtant les formes les plus diverses (3). En ce qui concerne notre sujet, la sorcellerie (qui ne prendra d'ailleurs ce nom que fort tardivement dans l'histoire) est précisément liée à l'activité de celui qui exerce des fonctions ne correspondant pas à celles exercées généralement au sein de son groupe social : Le sorcier est celui qui pratique une activité sédentaire parmi les nomades, tel le forgeron, ou celui qui pratique une activité nomade parmi les sédentaires, tel le berger.


    Pour en revenir au mythe d'origine, Caïn jaloux tue Abel et fuit : il devient paria pour les siens, seul nomade parmi le groupe des sédentaires.



    (1) Ce terme est souvent différencié de celui de "savoir", qui relève d'un apprentissage humain, alors que "connaissance", dans la pensée des tradipraticiens, relèverait du don d'origine non-humaine.

    (2) Genèse II, 17.

    (3) Avec l'avènement du Christ, qui se situe précisément à l'achèvement de la tentative de sédentarisation d'Israël, le sacrifice végétal est agréé et institué en remplacement du sacrifice animal. Et dans la période de la re-nomadisation forcée constituée par la diaspora, Israël sera poursuivie par le courroux des sociétés sédentaires. Le plus triste exemple se déroulera en plein cœur du XXe siècle, où la rage et la haine de ceux qui se voulaient les purs agents de la race aryenne se manifesteront à l'encontre des représentants du nomadisme, juifs et gitans. A l'époque actuelle, tout comme Chronos dévore ses propres enfants, les sédentaires absorbent peu à peu les nomades, qui sont sédentarisés ou éliminés par la fermeture des frontières et la "solidification" des états. Peut-être est-ce là l'une des significations sociales et historiques du mythe du meurtre d'Abel. Il serait peut-être opportun de repenser certaines de nos approches sur les grands bouleversements sociaux contemporains, notamment en matière de conflits, à la lumière des mythes fondateurs des sociétés concernées.

    Retour page

  • 8