Exposition Médecine Traditionnelle


  • La notion de tradition,
    Distinction entre thérapeutiques traditionnelles et populaires


    Nous pouvons maintenant aborder une notion considérée essentielle par les tradipraticiens, celle de Tradition. En effet, concernant les appellations et origines, quelques remarques préalables s'imposent :


    Guérisseurs et sorciers exercent, en milieu rural, une thérapeutique basée sur des origines mythiques, desquelles découlent des règles d'analogies également liées à l'observation de l'environnement. Il s'agit à proprement parler d'une thérapeutique traditionnelle qui se distingue nettement de ce qu'on appelle communément "médecine populaire". Or, pour l'étude que nous présentons, nous avons délibérément délaissé le mot "populaire" au profit du mot "traditionnel", qui semble mieux répondre aux exigences que nous nous sommes fixées. Il y a lieu de s'expliquer à ce sujet. Il y a souvent confusion entre quatre notions distinctes : médecine savante, médecine populaire, médecine parallèle, thérapeutique traditionnelle.


    La médecine savante est celle pratiquée par l'ensemble du corps médical reconnu par les instances officielles du pouvoir social à une époque et en un lieu donné, et, de ce point de vue, seule référence autorisée.


    La médecine populaire n'est autre que l'utilisation de remèdes employés de manière usuelle par les gens du peuple, à une époque déterminée. La médecine populaire, telle qu'elle a survécu jusqu'à nos jours, est issue à la fois d'une médecine savante ancienne, dont l'origine remonte sans doute au monde antique, et de traditions orales de provenances diverses, souvent considérées comme suspectes par les autorités officielles de toutes les époques. Citons un exemple : l'aspirine est un médicament populaire actuellement, mais non pas traditionnel, ce qui est le cas en revanche de l'usage d'écorce de saule, dont ce médicament est issu ; l'arbre ayant une "signature" particulière liée à une origine mythique.


    La médecine parallèle a pour caractéristique de fonctionner en marge de la médecine savante, d'où son appellation de "parallèle". Il s'agit d'un ensemble de formes thérapeutiques résultant de l'interprétation et de la combinaison de fragments de doctrines orientales et occidentales. Elles fonctionnent sur un monde analogue à celui de la médecine savante, du moins au niveau formel : il en résulte un syncrétisme doctrinal et une apparente cohérence pseudo scientifique au niveau de ses discours, de ses pratiques et de son environnement. Médecine d'une classe aisée à l'origine, elle descend peu à peu au travers des différentes couches sociales de la population occidentale, et trouve tout naturellement un appui dans les doctrines New Age, qui relèvent d'une même structure de pensée, basée à la fois sur le culte d'une nature aseptisée et d'une raison sécurisante. Souvent, dans nombre de cas, la médecine parallèle constitue l'ultime recours quand tout a été tenté au niveau de la médecine savante.


    La thérapeutique traditionnelle contient les trois éléments caractérisant toute forme traditionnelle : elle est systématiquement sous-tendue par une pensée religieuse, ou plutôt une doctrine métaphysique correspondant à une vision logique de l'ordre du monde et de ses origines et débouchant sur une anthropologie particulière, et qui s'est maintenue en Europe Occidentale jusqu'à l'avènement de la Renaissance, puis a survécu en milieu rural. Médecine de transmission par "ouï-dire" ou "voir faire", elle s'enracine dans une pratique liée à un terroir ou un ensemble social donné. Un des exemples réside dans l'utilisation des simples ou des conjurations en milieu rural. Bien souvent, la thérapeutique traditionnelle constitue un premier recours : on consulte ceux qui savent, ceux qui peuvent.


    En deçà de cet aspect, ou plutôt manifesté sous une autre forme, et selon la pensée exprimée par les tradipraticiens, il me semble possible de qualifier la Tradition par trois critères qui la fondent et la sous-tendent :


    - une mythologie reliant à des origines mythiques (source non humaine), en référence à un système d'appartenance,

    une transmission ininterrompue de bouche à oreille, par ouï-dire et voir faire, correspondant à l'apprentissage sensoriel externe et interne,

    - un enracinement social vivant et vivifiant, marqué par une reconnaissance au sein d'une communauté.


    Lorsque l'un de ces trois éléments vient à manquer, on ne peut plus parler de tradition, mais de folklore, sans que ce terme d'ailleurs ne revête une quelconque notion péjorative. La tradition s'oppose au traditionalisme, à la coutume, considérés comme une forme dégénérée, squelettique, dénuée de possibilité de compréhension. La coutume, liée à l'atrophie intellectuelle d'un peuple, donne naissance aux superstitions et croyances qu'on ne saurait remettre en question : " c'est comme ça... ".



    Bien loin de s'exclure, les différentes approches thérapeutiques ne peuvent que s'enrichir mutuellement, à partir du moment où elles répondent à des attentes différentes, où leurs éclairages respectifs ne recouvrent pas les même niveaux, et où le respect de l'individu / groupe social est préservé. C'est pourquoi nous avons voulu, pour aller plus loin dans le domaine de la recherche, nous fonder tout d'abord sur une approche de l'étude des mythes desquels découle la notion de tradition. Nous avons procédé ainsi en faisant référence à un travail de terrain de près de quinze années. Ce travail nous a permis de constater que les tradipraticiens revenaient en permanence sur cette notion fondamentale de tradition ; d'autre part, en se basant presque exclusivement sur leurs expérimentations, ils ont été amenés à élaborer des théories en cohérence avec les outils qu'ils utilisent sur un mode pratique. Nous verrons donc comment les tradipraticiens ont élaboré une pensée, basée sur l'aspect mythique, agissant par inductions à propos de ces même mythes qui se transforment en relation sociale orientée.

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