Exposition Médecine Traditionnelle


  • Science & médecine, science & sorcellerie


    Les différents auteurs qui ont écrit sur la matière médicale considèrent généralement que la source préhistorique de la médecine se situe dans l'observation et l'expérimentation. L'homme, dès la plus haute antiquité, a recherché tout naturellement sa nourriture dans les végétaux et les animaux qui l'entouraient. De ce fait, il a pu distinguer, à ses dépens, les éléments naturels comestibles des toxiques. D'autre part, l'observation du comportement des animaux lui aurait permis de remarquer que ceux-ci utilisaient certaines plantes pour se soigner lorsqu'ils souffrent de maladie. Ainsi, le mouton va brouter la fougère mâle lorsqu'il est atteint de parasites intestinaux ; les chiens se purgent avec le chiendent ; les chats se mettent en rut en mangeant la cataire ou en respirant les effluves de valériane, tandis que les biches pratiqueraient de même avec le lis martagon. Il s'agirait donc d'un savoir essentiellement empirique, c'est-à-dire dicté par l'observation et l'expérience. C'est là l'opinion communément admise quant à l'origine des remèdes médicinaux. A cela, il est possible de faire deux objections :


    - si les hommes des premiers âges, encore proches du monde animal, étaient doués d'un instinct très développé, on expliquera difficilement qu'ils aient pu absorber des toxiques en guise de nourriture. Il semble en effet que les animaux non domestiqués ne s'empoisonnent pas avec des plantes vénéneuses, ni n'attaquent certains animaux, à moins qu'ils ne soient immunisés contre leur venin. Il en serait de même pour les animaux domestiques, tout au moins lorsqu'ils jouissent d'un régime de semi-liberté.


    - l'observation du comportement animal pourrait effectivement être instructive si le phénomène de l'automédication n'était pas un fait rare, voire anecdotique, comme il semblerait.


    Cela pose alors le problème des vraies origines de l'emploi des remèdes médicinaux. Nous verrons que l'homme de tradition a tenté de répondre d'une toute autre manière à cette question.


    Pour la pensée rationaliste contemporaine, si une bête ou un troupeau est malade, cela est dû à un empoisonnement ou à la présence de germes pathogènes, éventuellement à un manque de soin. La mentalité traditionnelle, dans un cas semblable, fournira une explication d'un tout autre ordre : la maladie vient du fait qu'on a transgressé, sans même le savoir, un interdit ou que quelqu'un a jeté un sort. Dans tous les cas de figure, quelque part, l'ordre naturel des choses a été dérangé. On ira donc quérir celui qui sait, qui connaît les moyens de rétablir l'ordre naturel : il s'agira du devin, du guérisseur ou du sorcier lui-même.


    Le statut du guérisseur apparaît parfois comme ambigu, selon l'adage paysan : "Qui peut le mal, peut le bien, et qui peut le bien, peut le mal". Or où se situe exactement la limite, entre bien et mal ? La pensée traditionnelle n'est pas dualiste, car, pour elle, "En Dieu, l'Unique, il n'y a pas de division". Ce n'est qu'à partir du XIIe siècle que l'on peut assister au développement d'une pensée dualiste, d'ailleurs déjà en germe dans les écrits de certains pères latins des IIe et IVe siècles. Par la suite, le développement de la pensée scolastique conduit à une modification profonde de la vision théologique de l'église en matière d'anthropologie religieuse et d'angélologie, ce qui aura une répercussion lente mais profonde dans la conception populaire :


    - l'antinomie entre transcendance et immanence divine disparaît. Dieu et les anges n'échappent pas à un certain anthropomorphisme, les saints deviennent parfois envieux, et il ne convient pas de les déranger pour rien : "Il est moins risqué de s'adresser au Bon Dieu qu'aux Saints", disent certains tradipraticiens, situant celui-ci dans une transcendance somme toutes rassurante, alors que ceux-là, considérés comme de véritables puissances intermédiaires immanentes, semblent avoir conservé dans l'au-delà les caractéristiques psychologiques des humains qu'ils ont été en ce monde.

    - Le dualisme s'impose : le Diable, vaincu par le Christ ressuscité des premiers siècles, se redresse et devient presque aussi puissant que Dieu lui-même. On oppose le corps, vil réceptacle, à l'âme, abandonnant ainsi l'antique conception triadique de la constitution de l'être humain, corps - âme - esprit.

    - Le fondamentalisme s'installe : les symboles pris au sens littéral ne peuvent plus, par là même, aider à la compréhension d'une réalité supérieure.


    La richesse de l'Unité dans la multiplicité des formes disparaît, et ceux qui ne rentrent pas dans le modèle social et religieux prescrit sont persécutés. Une deuxième vague de christianisation, débutant aux XIIe-XIIIe siècles, se répand peu à peu dans des régions pauvres et reculées, restées hors des grands axes commerciaux, et ne représentant pas un intérêt majeur sur le plan politique, là où précisément s'étaient maintenues les survivances des anciens cultes. Ceux-là même qui avaient toujours pratiqué les rites ancestraux, qui connaissaient les secrets des plantes, des minéraux et des animaux, sont regardés avec suspicion et parfois traités de sectateurs du démon. Face à eux, des envahisseurs, au nom d'un pouvoir politique centralisateur tuent et violent, soutenus dans leurs exactions par la très puissante inquisition : les bûchers s'allument en Europe occidentale pendant trois siècles.



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