Qualification du sorcier


  • En milieu rural, On ne devient généralement pas sorcier par sa volonté propre. Un signe particulier marque ou désigne l'individu apte à exercer cette fonction. Il existe ainsi plusieurs types de "qualifications" liées à des critères physiques et/ou sociaux déterminés


    CARACTERES PHYSIQUES


    Anomalie physique


    De naissance, ou acquise par accident, liée à une dissymétrie corporelle, régie par la règle des "B": borgnes, boiteux, bossu, bec-de-lièvre. Là encore, on retrouve des origines mythiques : certains Dieux de l'Antiquité revêtent une de ces caractéristiques. Par exemple, Vulcain, le forgeron de l'Olympe, est boiteux. Jusqu'au Concile Vatican II, il est notable que ces tares physiques constituaient une disqualification absolue pour l'exercice de la prêtrise (tradition sédentaire)


    Au contraire, dans un certain nombre de traditions nomades, elles sont un critère de qualification pour les candidats à l'initiation chamanisme, qui peuvent être appelés à subir des mutilations rituelles, s'ils en sont dépourvus au départ


    Maladies de naissance


    En particulier les épileptiques ou somnambules (l'homme est "chevauché" par les esprits ou les démons). Les albinos, ceux qui ont les yeux ou les cheveux rouges, ceux qui sont marqués d'une tache de naissance, portent sur leur corps la signature du démon


    Dons physiques particuliers


    Ventriloque, jongleur (ce qui permet l'exercice de "tours", et donne l'illusion d'un "pouvoir").


    CARACTERES SOCIAUX


    En règle générale, ils sont représentés par tout ce qui est inquiétant, mystérieux, et surtout hors normes ou étrangers à l'environnement social habituel. Ainsi, pourront être considérés comme sorciers, ou tout au moins auront une prédisposition à le devenir, ceux qui appartiennent à une ou plusieurs des trois catégories suivantes


    1 - Enfants nés dans des conditions spécifiques

    - bâtards (disqualifiés pour la prêtrise, car ils sont le fruit d'une union illicite).

    - enfants nés avant terme, au 7è mois

    - enfants posthumes, nés après la mort de leur père

    - orphelins de père et de mère, enfants abandonnés


    2 - Etrangers, gens de passage

    - gitans, vagabonds, cheminots (= les nomades, par opposition aux sédentaires)

    3 - Personnes exerçant un métier ou une activité pouvant les mettre en contact avec des forces obscures

    - forgerons, métallurgistes : ils manient les métaux, tirés du monde souterrain où vivent les démons et esprits inférieurs.

    - barbiers, médecins, bourreaux parce qu'ils sont en contact avec le sang ou les cadavres, d'où ils peuvent tirer certaines substances pour la préparation des poudres et des filtres magiques

    - bergers : ils vivent en contact permanent avec la nature, et en connaissent les secrets. Ils peuvent détenir leur pouvoir des fées et autres esprits intermédiaires qui hantent les prés, les sources, les grottes

    - guérisseurs : ils peuvent être suspects, tout comme les personnes qui font habituellement le bien, car "qui peut le bien, peut le mal".

    - prêtres : ils peuvent lire les livres saints à rebours pour faire le mal. On les croit capables de commander aux éléments, et d'attirer la grêle, la foudre, les orages sur un village qu'ils veulent châtier.

    - prêtres et séminaristes défroqués : "ils ont abandonné le Bon Dieu pour servir le Diable".
    - matrones qui président aux naissances

    - habilleurs de morts

    - prostituées. Par extension : toute femme trop coquette est suspecte d'attirer le diable. La femme qui se peigne semble dans quelques régions douée du mauvais œil à ce moment précis

    - colporteurs : ils vendent les mauvais livres, amulettes et remèdes inquiétants

    - chanvreurs, cordiers, qui tissent la corde du pendu

    - tisserands : qui tissent le suaire des morts

    - tailleurs, souvent bossus, inaptes au travail de la terre

    - musiciens, vielleux, cornemuseux : qui mènent le bal, et excitent par leurs chansons les jeunes à la débauche

    - les hommes des bois tels que

    • fendeurs (souvent assimilés aux franc-maçons) qui vivent dans la forêt, considérée comme un monde hostile par le paysan
    • charpentiers, menuisiers
    • gardes-chasses, braconniers, meneurs de meute: ils ont la maîtrise des animaux sauvages, ennemis du paysan, et peuvent en outre acquérir le mauvais œil en soutenant le regard des animaux qui fascinent leur proie.
    • taupiers : ils détruisent les taupes, animaux redoutables, caricatures démoniaques des hommes ou fées métamorphosés (la patte de la taupe ressemblant effectivement à une petite main humaine).


    Enfin et surtout, il y a ceux qui sont rejetés pour avoir, volontairement ou non, transgressé l'ordre social : veuves refusant de se remarier, mendiantes, mères célibataires, femmes ayant avorté, etc. Dans ce cas, il y a désignation du sorcier ou de la sorcière par l'environnement social, et la personne ainsi désignée accepte parfois de se reconnaître comme telle, trouvant alors dans sa nouvelle fonction une force de revanche sur ceux qui l'ont rejetée. En fait, et au-delà de tout le côté phénoménal auquel il se rattache, il faut comprendre que le sorcier joue un rôle de cohésion sociale important dans la structure villageoise rurale. Il est essentiellement l'oreille à qui l'on peut confier des secrets inavouables à tout autre, ou demander des conseils relatifs à des comportements marginaux que ne peuvent dispenser ni le prêtre, ni l'instituteur, ni le médecin, liés à certaines réserves de par leur fonction spécifique.


    Tant pour le sorcier que pour le guérisseur, il existe une transmission du don et des pouvoirs qui les rattachent à une chaîne dont l'origine remonte à la nuit des temps. À l'exception de quelques cas particuliers, dont nous avons parlé auparavant, sans cette transmission il n'est nul don, nul pouvoir. La transmission s'effectue selon deux modes que nous appellerons :


    - transmission verticale, directe, d'origine non humaine.

    - transmission horizontale, passant par un intermédiaire humain


    Qui est véritablement le sorcier


    De ce qui précède, il apparaît que le sorcier, c’est l'Autre : l'étranger, celui qui vient d'ailleurs, celui qui pense différemment, qui représente, croit-on, un danger potentiel pour l'équilibre de la société.


    On constate par là même que les phénomènes d'exclusion ne sont pas quelque chose de nouveau, qu'ils empruntent des formes différentes selon les lieux et les époques, que l'ignorance de l'autre engendre la haine, la peur, le rejet par l'élaboration de croyances... Et qu'il est possible que chacun trouve sa place, aussi différent soit-il de nous, la différence n'apparaissant non plus comme un défaut mais comme un enrichissement pouvant contribuer au bien commun.

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