Sorcellerie


  • Histoire, théologie et conception traditionnelle


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    L'art de charmer semble remonter aux origines de l'humanité. Certaines gravures pariétales datant de l'époque paléolithique laissent à penser que les hommes préhistoriques pratiquaient déjà une forme de magie analogique.


    Les textes épigraphiques babyloniens et perses montrent que ces peuples connaissaient déjà l'art d'envoûter, de transformer des humains en animaux, de conjurer les maladies, les éléments et de prédire l'avenir.


    Certains papyrus égyptiens, parvenus jusqu'à nous, rapportent des formules de conjuration très semblables à celles qui sont actuellement en vigueur pour un usage analogue.


    Nous reviendrons sur la distinction mythique entre les nomades et sédentaires, ce qui nous conduira ultérieurement à montrer comment, au regard de la tradition, l'opposition entre les individus appartenant à ces deux groupes peut engendrer des crises sociales revêtant des formes les plus diverses. En ce qui concerne présentement notre sujet, la sorcellerie, qui ne prendra d'ailleurs ce nom que fort tardivement dans l'histoire, est précisément liée à l'activité de celui qui exerce des fonctions ne correspondant pas à celles exercées généralement au sein de son groupe social : Le sorcier est celui qui pratique une activité sédentaire parmi les nomades, tel le forgeron, ou celui qui pratique une activité nomade parmi les sédentaires, tel le berger.

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    Lors de la vague de christianisation dans les Gaules aux premiers siècles de notre ère, il semble que la transition entre les anciens cultes païens (rappelons que " païen " vient du latin " paganus ", paysan) et la nouvelle religion semble s'être fait avec certaines facilités : Dieux, Déesses et Héros celtiques furent christianisés sans grandes difficultés et le peuple continua le plus souvent d'accomplir ses rites ancestraux, sous une nouvelle appellation. " Les Celtes adorent Belisama, la Vierge qui doit enfanter et les Chrétiens annoncent que la Vierge a enfanté le soleil de justice, le Christ... "


    Un Saint Martin ne luttera pas contre les hommes, même les tenants de l'ancienne religion, ni contre les druides, toujours existants à son époque (VIè siècle), mais contre certaines superstitions qui n'étaient autre que la déviation extrême d'un culte devenu incompris.


    Saint Grégoire le Grand adressait en 601 une Epître aux apôtres de Grande Bretagne, évoquant la destination des anciens lieux de culte païens, et rédigée en ces termes : " ... si ces temples sont bien construits, il est nécessaire de les faire passer du culte des démons au service du vrai Dieu. En voyant que ces temples ne sont pas détruits, le peuple extirpera l'erreur de son cœur, et l'on viendra à la connaissance et à l'adoration du vrai Dieu plus librement dans des lieux déjà célèbres pour le culte ".

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    On considère donc qu'il existe des lieux dont la configuration géographique et tellurique est telle qu'ils sont aptes à recevoir des temples de pierre ou de bois, eux-mêmes supports et résidences des influences spirituelles, aptes à permettre les transformations intérieures et extérieures (conversion/guérison). La notion de géographie sacrée découle de cette croyance, et ceux que l'on appela les sorciers, héritiers de ceux qui enseignèrent et pratiquèrent ces choses en furent les dépositaires, à leur tour, au moins jusqu'à une époque récente, mais sous une forme de plus en plus altérée.


    Il faut donc christianiser ces lieux, dont les démons se sont emparés. Mais qui sont, dans la pensée théologique pré-médiévale ces démons ? Ce sont les dieux des religions anciennes, puissances intermédiaires déchues, qui se nourrissent des résidus psychiques attachés aux supports matériels où ils résident.


    On remarque que lorsqu'une forme religieuse traditionnelle s'éteint, les symboles fondamentaux et archétypes qui la sous-tendent s'inversent littéralement: les dieux deviennent des démons et les animaux qui leur sont attachés sont alors considérés comme voués au démon. Diverses interprétations métaphysiques, psychologiques et psychanalytiques ont été avancées, afin de tenter d'expliquer ces inversions.


    Origine des mots et involution de la pensée

    Il convient ici de revenir sur l'origine du mot de sorcier. Le terme lui-même vient du latin SORS, qui désigne l'objet de pierre ou de bois gravé servant à une divination ou encore l'oracle, la destinée.


    " Sorcier " apparaît au VIIIè siècle comme désignant le devin effectuant le tirage au sort (du latin sortilator). " Ensorceler " est un mot utilisé du XIIè siècle et marque l'action d'agir sur le destin de quelqu'un. " Sorcellerie " est employé pour la première fois un siècle plus tard, alors qu'il faudra attendre le XIVè siècle pour parler " d'ensorceleur ".


    On voit au travers de l'origine des mots l'involution progressive de la pensée.


    Chez les Grecs et les Latins, on emploiera trois vocables parfaitement distingués selon les fonctions auxquelles ils se rattachent:

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    Le Mage (Magos/Magus) est un prêtre qui interprète les songes, selon Hérodote, dans la caste sacerdotale des Perses. Le Goète (Goes/Goetius) désigne l'enchanteur qui procède par des cris et des incantations. Le Pharmacien (Pharmakos/Pharmacus) représente le préparateur de drogue, de remède, empoisonneur et également parfois la victime expiatoire, " véritable remède personnifié ".


    Ces termes sont ambivalents : ils désignent des actes non reliés à des valeurs morales.


    Christianisation et pouvoir politique


    En 743-744, sous le règne du roi mérovingien Childéric III, se tient le concile des Estinnes. La Province de Neustrie est alors gouvernée par Carloman. On trouve joint aux actes de ce concile l'énumération des superstitions et pratiques païennes à cette époque : Il s'agit principalement du culte des défunts, des saints, des pierres, des arbres, des sources, des images et simulacres, de l'usage des amulettes, des incantations, de la divination, du feu sacré, de la survivance des fêtes païennes, du rapport de la lune et des femmes.


    On constate que, pour bon nombre de cas cités, l'église doit composer et se contenter d'une "christianisation en surface" en particulier pour le culte des lieux sacrés, des saints, et la survivance des fêtes païennes. Ceci va d'ailleurs dans le sens des recommandations faites par Saint Grégoire le grand, déjà citées.


    Pendant les dix premiers siècles de l'ère chrétienne, il n'y a pas, à proprement parler, de phénomène de sorcellerie. Tout au plus, certains hommes sont accusés de pratiques mettant en péril l'ordre social.


    Les lois franques sont peu sévères à leur égard, en comparaison des persécutions meurtrières que l'on observera à la fin de la période médiévale : un système d'amendes tarifées nous indique de manière précise quelles sortes de " crimes " étaient alors châtiés :


    " si une sorcière a mangé un homme, elle paiera 8000 deniers. Une femme qui en a rendu une autre stérile au moyen de sortilège paiera 2500 deniers. Pour un sort jeté par une femme à une autre, le prix est le même. Celui qui aura fait périr une personne par des herbes paiera 8000 deniers, réduits à 2500 si la personne en réchappe " (Loi des Ripuaires, 8è siècle).

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    La loi des Wisigoths punit de 50 coups de fouet les gens qui observent les augures (sacrifices d'animaux dédiés aux divinités). Ceux qui jettent les sorts, provoquent la grêle, troublent l'esprit d'autrui en faisant intervenir des démons, les invoquent ou leur offrent des sacrifices nocturnes recevront publiquement 200 coups de fouet, seront tondus et promenés dans cet état dans 10 localités du voisinage et déchus de leur capacité de témoigner.


    Au IXè siècle, sous l'empire de Charlemagne, le pouvoir civil impose une unification des rites en Occident, alors que chaque église locale possédait des formes culturelles et des règles canoniques spécifiques, et donne à l'évêque de Rome, jusqu'alors "Primus inter pares" c'est à dire, premier entre les égaux, le pouvoir suprême comme chef spirituel de la Chrétienté. La pensée sous-jacente est la suivante : "Un seul empire, une seule église". La richesse de l'Unité dans la multiplicité des formes disparaît, et ceux qui ne rentrent pas dans le modèle social et religieux prescrit sont persécutés.


    Par la suite, le développement de la pensée scolastique conduit à une modification profonde de la vision théologique de l'église en matière d'anthropologie religieuse et d'angélologie, ce qui aura une répercussion lente mais profonde dans la conception populaire : l'antinomie entre transcendance et immanence divine disparaît. Dieu et les anges n'échappent pas à un certain anthropomorphisme, les saints deviennent parfois envieux, et il ne convient pas de les déranger pour rien: il est moins risqué de s'adresser au " Bon Dieu " qu'aux Saints. Le dualisme s'impose: le Diable vaincu par le Christ ressuscité des premiers siècles, se redresse et devient presque aussi puissant que Dieu lui-même. On oppose le corps, vil réceptacle, à l'âme, abandonnant ainsi l'antique conception triadique de la constitution de l'être humain, corps - âme - esprit.

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    Le fondamentalisme s'installe : Les symboles pris au sens littéral ne peuvent plus, par là même, aider à la compréhension d'une réalité supérieure. Une deuxième vague de christianisation, débutant aux 12è-13è siècles, se répand peu à peu dans des régions pauvres et reculées, restées hors des grands axes commerciaux, et ne représentant pas un intérêt majeur sur le plan politique, là où précisément s'étaient maintenues les survivances des anciens cultes. Ceux-là même qui avaient toujours pratiqué les rites ancestraux, qui connaissaient les secrets des plantes, des minéraux et des animaux, sont maintenant traités de sectateurs du démon. Face à eux, des envahisseurs, au nom d'un pouvoir politique centralisateur tuent et violent, soutenus dans leurs exactions par la très puissante inquisition : A la fin du moyen-âge, les bûchers s'allument et l'Europe sera bientôt mise à feu et à sang pendant trois siècles.

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