Conclusion


  • Lorsque les survivances des cultes pré-chrétiens disparurent, la sorcellerie resta, elle, comme un pouvoir contre les religions dominantes, contre un pouvoir civil parfois tyrannique, et surtout, contre la misère. En cela, elle est l'espoir des révoltés, et dans ce sens, n'est pas exempte de pureté. Son principal défaut consiste en ce qu'elle contraint esprits, âmes et corps. Dans ses modes d'actions, ou du moins ce qu'il en reste, elle applique des règles de comportement et des rites stricts et rigoureux particulièrement aliénants, contrairement aux grandes traditions métaphysiques qui tendent à conduire l'homme vers une libération des passions et des lois tyranniques du monde psychique. Mais au delà de ces aspects réducteurs, n'est-elle pas plus encore l'expression des pulsions plus profondes que chacun porte en soi, celles de l'imaginaire ?


    Combien y avait-il de sorciers autrefois, combien en reste-t-il à notre époque?


    - Des villages entiers, nous disent les inquisiteurs et démonologues. Mais quel crédit peut-on apporter à leurs affirmations lorsque l'on considère les raisons profondes, personnelles et politiques, qui guidèrent leurs bras meurtriers.

    - Au moins un par village, précisent les folkloristes qui enquêtèrent au début du siècle.


    Pourquoi une telle importance ? Parce que, jusqu'à l'avènement de la 1ère guerre mondiale, le sorcier est et reste le médecin des âmes et des corps des pauvres gens. Actuellement, en milieu rural, leur nombre n'a cessé de décroître. Ils ne disparaîtront sans doute jamais totalement, car ils apportent des réponses logiques et cohérentes (bien que ne relevant pas d'un mode rationnel) aux questions que l'angoisse de l'inconnu fait naître en nous et auxquelles les hommes de science sont incapables de répondre.


    Vers la fin d’une tradition


    DES SORCIERS AUX SAVANTS...


    Ces derniers ne sont-ils pas eux-mêmes les nouveaux sorciers ?


    N'y a t'il pas là, dans l'imaginaire collectif, un transfert de compétence ?


    Car que demande-t-on aux médecins, physiciens et autres savants de notre siècle ?
    D'agir sur la maladie, de reculer l'heure de la mort, de prévoir le temps qu'il fera, de voler dans les airs, de détruire les ennemis, d'influencer l'action d'autrui, de procurer le bien-être matériel... Et lorsque le pouvoir échappe à leur contrôle, comme ce fut le cas à Tchernobyl, que hommes, bêtes et plantes meurent en nombre considérable, ne croit-on pas parfois qu'ils sont parfois un jouet entre les mains du Malin ?


    ...DE LA SORCELLERIE DES CAMPAGNES À CELLE DES VILLES...


    Les sorciers traditionnels en milieu rural tendent à disparaître de nos jours au profit de personnages s'installant en ville. La mentalité n'est plus la même : le sens de la gratuité disparaît, et les pouvoirs s'amenuisant sans doute, nécessitent pour fonctionner la présence d'un folklore et d'un décorum pseudo-scientifique. On fait référence au corps médical, aux dernières recherches de la physique, on saupoudre parfois d'un zeste d'orientalisme, on reçoit en blouse blanche, on accroche le "diplôme" au mur et on s'entoure d'un matériel sophistiqué qui impressionne le client.


    Lieu d'écoute ? Non point, car le nombre généralement important de visiteurs ne permet pas de longs entretiens. Les consultations sont coûteuses et non remboursées par la sécurité sociale. Un désenvoûtement peut coûter de 500 à 10 000 Euros, voire plus. Et souvent, la peur savamment distillée par le sorcier à l'encontre de son client le transforme de victime en vache à lait qui ne saurait tarir, sous peine de plus grands malheurs. Mais l'argent donné, moderne produit du travail des mains, n'est-il pas en lui-même un des facteurs potentiels de guérison ? Et pourtant le chiffre d'affaires sans cesse croissant des sorciers et guérisseurs patentés (2 fois supérieur au revenu brut du corps médical) semble indiquer que le mal de vivre, que le mal-être dans nos sociétés l'emporte sur toute considération raisonnable. Mais, dans cette quête sans fin de l'inconnu, ne pourrait-on y voir l'aspiration fondamentale de l'homme pour sa recherche intérieure, pour conquérir l'espace inconscient, pour y retrouver l'hypothétique paradis perdu ?

    © H. BERTON / SEREST


    Extraits tirés des ouvrages suivants


    Sorcellerie en Auvergne. Sorciers, guérisseurs, médecines magiques et traditionnelles

    Hugues Berton

    Editions De Borée, 1995, rééd. 2003.


    Objets de sorcellerie

    Objets pour guérir, objets pour maudire

    Hugues Berton

    Editions De Borée, 2008


    Médecine et sorcellerie en milieu rural

    Formes et structures des thérapeutiques traditionnelles

    Hugues Berton

    Editions Dangles, 2008


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